Ce travail de création typographique expérimentale voit le jour dans un contexte où la conception de caractères est déterminée par deux constats. D’un côté, l’influence des formes calligraphiques sur le dessin de caractères disparaît progressivement au profit d’un emploi de plus en plus systématique de moyens informatiques voués à la création de caractères pour des supports web. D’un autre côté, c’est justement la souplesse et le potentiel des outils informatiques qui démocratisent et désacralisent la manipulation de formes typographiques à laquelle s’adonnent graphistes amateurs et confirmés. Dans ce cadre, il est intéressant de proposer un exercice de création de systèmes typographiques expérimentaux inspirés du travail d’Armin Hofmann. Le célèbre graphiste suisse propose dans son Manuel de création graphique, publié en 1965, des formes élémentaires de génération de formes graphiques à partir de la création de grilles. En suivant ce même principe, la genèse de ces caractères commence avec la conception d’une grille susceptible de générer une multiplicité de formes graphiques sur un principe d’épuisement des formes déclinées. Une fois obtenue cette première matière graphique, une sélection se fait afin de ne retenir que les formes graphiques susceptibles d’être associées à des lettres. Cet premier ensemble de signes graphiques va établir les règles de base de la construction de la typographie. Ainsi, les caractères manquants seront crées selon ces mêmes principes afin d’obtenir un système cohérent. Le travail de déclinaison de formes typographiques est poussé encore pour obtenir également des graisses différentes. Certains exemples vont jusqu’à décliner des familles regular, bold et light, ou encore des systèmes en bas de casse et capitales, tous des caractères utilisables en gros titrages. Dans cet exercice de création, probablement la partie la plus intéressante, est celle de l’apparition des premières formes graphiques au début de l’exploration de la grille. Par un moment proche de l’épiphanie, un certain nombre de formes graphiques de statut indéfini apparaissent, elles sont des signes graphiques mais pas encore des lettres. Au-delà du langage, ces formes graphiques sont en deçà de l’écriture, car ce sont des signes graphiques susceptibles de faire l’objet d’une composition syntaxique mais pas encore dotés de l’épaisseur d’un signifié; elles n’ont pas la transparence de la lettre, leur opacité ne renvoie qu’à leurs propres formes. Ce sont ces origines, puisées dans la rigueur du graphisme fondamental, qui expliquent le charme désinvolte de ces créations typographiques.